Avec un sourire enjôleur, je tendis mon carton d'invitation au milicien qui était chargé du filtrage. Je n'avais absolument aucun doute sur le fait que Genious ait réussi à hacker le registre informatique afin d'y ajouter ma fausse identité. Cette fille était relou avec ses principes moraux complètement démodés mais elle avait le mérite de savoir ce qu'elle faisait. On ne pouvait pas décemment en dire autant de Airhead. Enfin bref. Tant qu'ils me payaient, le reste, c'était pas mes oignons. J'faisais pas dans le bénévolat. Loin de là !

Mon mini-sac à main sous le bras, je lissais le bustier gris anthracite de ma robe boule en attendant que le militaire finisse de vérifier mon identité. Enfin, celle que j'aurais pour la soirée. Mademoiselle Hippolyte Andrews, journaliste d'une revue d'art dont le nom était probablement inscrit dans la puce électronique de la carte d'identification que le milicien venait de me rendre. ••• Passez une bonne soirée, madame. ••• Mademoiselle. ••• Fis-je remarquer avec un clin d'œil aguicheur derrière mes lunettes Chanel avant de récupérer mon carton d'invitation et de filer dans l'allée. Bah quoi ? C'était toujours l'heure de faire croire à quelqu'un qu'il avait une touche. Il pourrait faire un bon indic'. Contre son gré, certes. Mais tout de même.

Je rangeais le tout - invitation et carte - dans mon sac avant de passer au contrôle, n'étant pas une VIP. Ledit sac ne contenait rien sinon mon t-GAP, des outils de maquillage de base, un bloc-notes, un stylo et un dictaphone. Bref, rien qui puisse paraître suspect. La fouille corporelle faite, je m'en enorgueillissais d'avoir passé le contrôle sans me faire repérer et j'entrais enfin dans le jardin botanique.

Le plateau qui passait par là fut délesté d'une coupe de champagne. Le liquide doré était divin. Définitivement, la représentante terrienne n'avait pas lésiné sur les moyens pour promouvoir le prestige de sa planète mère. Calvin, pardon Hippolyte en était ravie. Ce n'était pas tous les jours qu'elle pouvait profiter de véritable champagne à l'œil. Se mêlant à la foule avec habileté, elle s'arma de son dictaphone pour commencer à interroger quelques personnes sur leurs impressions. Elle avait déjà eu un briefing avec Genious qui lui avait expliqué, brièvement, le boulot et le rôle qu'elle jouerait. Comme si elle était débile. Non mais vraiment !

••• Oh excusez-moi. ••• Lâcha-t-elle lorsqu'elle cogna doucement quelqu'un.

[HRP = J'm'incruste alors ]

Pour le coup, elle était bien embêtait ! Comprenez-là ! Pour une fois qu'un événement intéressant, un événement qui sorte un peu de l'ordinaire, se produisait dans ce monde, elle, elle travaillait là où tous les autres s'amusaient. Corvée de surveillance... Quoi de mieux ? Le côté positif de la chose se résumait à ce qu'elle puisse profiter indirectement de l'exposition, sans même avoir demandé quoique ce soit. Un des nombreux avantages d'être milicienne, toujours accompagné d'un revers de la médaille. Elle bossait, et pas le droit à l'erreur. On leur avait bien précisé que s'il arrivait quoique cela soit au cours de cette exposition, le dernier endroit qu'ils auront à surveiller du reste de leur vie serait les toilettes du centre commercial. Régression prévenue dans l'échelle sociale oblige, Shine ne prenait pas le temps de contempler les œuvres -parce qu'au final, qu'est-ce que ça vaut, un morceau de tissu ancien ou une autre connerie du style face au boulot de tout une vie, un avenir convoité ? Rien, négligence totale. Le comble de cette histoire, vous le connaissez ? Le thème de l'exposition n'était autre que la terre, cette foutue planète que Shine avait fuit des années auparavant. Elle se devait de redoubler d'efforts pour ne pas laisser les souvenirs détruire sa concentration et la perturber. Elle savait déjà que quand son tour serait fini, que la relève viendrait, ni une, ni deux, elle rentrerait chez elle se pieuter. Et elle dormirait, si longtemps, si si profondément, qu'elle en oublierait tout ce qui serait remonté à la surface. Le repos du noir total. Parce que c'était dans le noir qu'on reprenait goût à la vie... croyez moi.

Elle déambulait entre les allées, ne riant même pas des allures plus ou moins bizarres et crédibles des gens chics -de naissance et qui n'avaient donc aucun mérite, ou parvenus et qui se faisaient trop voir- qui flottaient autour d'elle. Elle, elle ne pouvait pas se fondre dans la foule. Avec toute la panoplie dont ils étaient équipés, on séparait parfaitement les miliciens des invités. Elle se contentait de regarder, d'analyser, de faire attention au moindre détail comme si tout dépendait de ça. Mais à chercher toujours les petites bêtes, on ne fait pas assez attention aux grandes. Si bien qu'en ce moment, on aurait pu mettre un éléphant sous le nez de Shine qu'elle ne l'aurait pas vu, mais ici, pas de pachyderme me direz vous. Vous avez raison. D'ailleurs ce qui fut la source de son inattention ne ressemblait pas, de près, comme de loin, même dans le noir, à cent mètres de distance, et les yeux fermés, à un pachyderme grisâtre.

Calvin : Oh excusez-moi.

Shine se retourna dans un mouvement vif mais pas inquiétant, qui témoignait parfaitement de ses réflexes acquis au cours de son entraînement – encore heureux, si la milice aurait ressemblé à cette ancienne police dont son père lui parlait, qui passait son temps avec une boîte de beignets à la main, et qui s'essoufflaient en montant les escaliers de la boulangerie, comment tournerait le monde ? Mal, très mal, c'est moi qui vous le dit.

Elle dévisagea rapidement la jeune femme qui se trouvait en face d'elle. Rien qui ne soit susceptible d'être suspect. Fringuée comme tout le monde ici, mais avec un dictaphone à la main. Conclusion, une journaliste ou quelque chose du genre. Pas besoin de se méfier à priori, mais comme toute personne présente était passablement suspect de tous les crimes possiblement faisable dans une telle situation.

Shine : Non, non... c'est de ma faute... J'ai pas regardé où je mettais les pieds...

Elle jeta un coup d'œil à droite et à gauche. Se taper la causette avec une journaliste n'était pas dans son programme. Pas grave... Un peu d'imprévu ne pouvait pas faire de mal à quelqu'un.

Shine : Vous êtes journaliste. Plus une affirmation qu'une question. Vous allez pouvoir m'expliquer pourquoi on donne un tel intérêt à un événement du genre...

Ma coupe de champagne à la main et ma sacoche coincée sous mon bras, j'offrais aux convives la représentation parfaite de la jeune femme peu habituée à participer aux soirées chics. Mon regard parcourait lentement chaque endroit, s'attardant parfois sur le galbe d'une statue ou sur les vêtements odieusement chers d'un alpha, mais jamais il ne s'accrochait nulle part. Il fallait tout voir, et ne rien manquer, parce qu'on me demanderait de faire un compte-rendu par la suite. Que ce soient des amies avides de savoir comment était habillée telle ou telle sommité ou à mon patron qui me demanderait mon article dès demain. Bref, je jouais mon rôle de journaliste débutante...

Et sous le couvert de cils noirs, le regard plein d'un émerveillement qui s'évertuait à rester professionnel scrutait en fait les environs. La cible n'avait pas été difficile à repérer mais j'avais vite déchanté. Aucun moyen de l'approcher sans risquer ma couverture. Genious avait rapidement compris le dilemne (pour une fois qu'elle captait quelque chose, celle-là... UU) et avait les choses en main. Ok, je m'occupais du reste. Je n'avais pas tellement le choix, me résignais-je quand je la vis se diriger vers un Général Milicien pour faire son job.

Dictaphone en main, j'interrogeais un tel, recueillais l'avis d'un autre et je naviguais parmi la foule avec l'habileté d'une terrienne. Un sourire aux lèvres, j'endossais le rôle de l'ingénue qui fréquentait la belle société pour la première fois et pour qui tout ce qui brillait était d'or. Avec un rire, j'abandonnais l'un des invités après lui avoir posé mes questions et sans faire exprès, mon coude cognait quelqu'un. Aussitôt, je m'excusais avec un sourire contrit auprès de la milicienne. ••• Non, non... c'est de ma faute... J'ai pas regardé où je mettais les pieds... ••• Sans sourciller, je me soumis à l'examen visuel avant de m'amuser de voir qu'elle regardait si un de ses supérieurs était dans le coin. ••• Je m'appelle Hippolyte Andrews. Ca va ? Votre travail n'est pas trop fatiguant ? ••• Demandai-je du ton de la conspiration.

••• Vous êtes journaliste. Vous allez pouvoir m'expliquer pourquoi on donne un tel intérêt à un événement du genre... ••• Je grimaçais telle une fille qui se demandait comme quelqu'un dans l'univers pouvait ne pas réaliser l'importance d'une telle exposition. ••• Vous savez l'art est un vecteur culturel important. C'est un indicateur très fiable des mentalités d'autrefois. Par exemple, les sculptures du début du troisième millénaire montrent que la société était encore tiraillée entre manuel et mécanisation. Ceci, par exemple, est un très bon exemple. ••• Débitais-je avec une conviction professionnelle en pointant d'un geste de la tête une œuvre de Jabloksky, un mélimélo d'objets rouillés et d'outils en bois.

Je relevais la tête lorsqu'un cri attira mon attention - comme à peu près la moitié des gens qui se trouvaient dans le coin -. C'était une femme qui s'extasiait devant une toile, on ne savait pas trop pourquoi. Enfin, en tous cas, ce n'était guère approprié comme attitude au milieu de tous ces gens importants. Alors soit c'était une gamma illuminée, soit c'était une débutante... Tiens, d'ailleurs, quelqu'un la rejoignait pour discuter. Mon instinct me disait que ça sentait l'arnaque à plein nez cette affaire. Et il avait rarement tord... ••• Même si, à mon avis, il est inutile de faire tout ce cirque pour une vulgaire toile de Di Piacesco... ce tableau ne vaut rien ou presque. ••• Confiais-je, mon regard dédaigneux se fichant sur la fille qui se pâmait devant une toile.